Factures égarées dans les tunnels
LA SNCF a attendu l'inauguration, le 12 juillet, de sa nouvelle
ligne Eole du RER parisien pour avouer qu'elle avait roulé
les pouvoirs publics dans la farine lors du lancement de cet énorme
chantier en 1989. En effet, Eole, qui a finalement coûté
8,125 milliards (hors matériel roulant), avait été
estimé alors à seulement 6,2 milliards. Une évaluation
volontairement minorée, au départ, pour mieux faire
passer la pilule auprès du gouvernement...
Si ce genre de pratiques est de tradition à chaque fois
que l'Etat engage des projets ou des grands travaux, il est nettement
moins courant que le coupable passe aux aveux. Or, dans le dossier
remis aux journalistes à l'occasion de l'inauguration d'Eole,
et destiné entre autres à justifier les 2 milliards
de surcoût, la SNCF se met à table. Si elle justifie
- plus ou moins bien - 900 millions de dépenses supplémentaires
et inévitables, la SNCF reconnaît que plusieurs factures
prévues dès l'origine ont été «
oubliées » dans le budget initial.
Un de ces « petits oublis » porte sur 650 millions.
A savoir des travaux d'adaptation à réaliser sur
les lignes de banlieue intégrées à Eole.
La société nationale avait préféré
passer sous silence leur coût.
Motif officiel : « Toutes les études n'auraient pas
été achevées au moment du lancement du projet.
» Certes, l'argument est un peu rustique, encore fallait-il
oser s'en servir et le publier...
Par ailleurs, la SNCF - mais elle ne reconnaît cet autre
oubli qu'à mots couverts - a volontairement sous-estimé-
de 400 millions - le coût de réalisation des tunnels.
A l'origine, le devis s'élevait à 4,1 milliards.
Une somme à laquelle il convenait d'ajouter une provision
pour les inévitables aléas du chantier.
Vu la complexité des travaux, cette provision aurait dû
être fixée à 600 million.
Mais la SNCF s'était contentée d'en annoncer 200.
Et, comme à l'habitude, la SNCF n'a pas hérité
de la douloureuse. L'Etat était peu soucieux d'injecter
des crédits supplémentaires, c'est le conseil région
d'Ile-de-France qui a sorti son portefeuille.
Fauteuils à la mode
MIRACLE ! Quand il s'agit de gérer ses sous, la SNCF maîtrise
beaucoup mieux ses dépenses que les devis d'Eole. Ainsi,
pour le matériel roulant, payé sur ses fonds propres,
la SNCF a respecté, à quelque chose près,
l'estimation initiale de 4 milliards. Malgré quelques bévues
aussi ridicules que coûteuses...
En 1997, alors que deux rames d'essai ont déjà été
livrées, les contrôleurs font remarquer à
leurs chefs qu'il est difficile de coller des amendes aux voyageurs
assis en première classe avec un billet de seconde si tous
les sièges sont de la même
couleur... Imparable. Les polytechniciens de la SNCF n'ayant pas
évalué ce risque, on demande alors au fabricant
de changer les fauteuils déjà installés et
de modifier les chaînes de montage. Ardoise supplémentaire
: 572 000 F.
Aujourd'hui, tout va bien : les nouveaux sièges sont installés
mais le changement de couleur n'a plus aucune utilité.
Entre-temps, le ministre des Transports, Jean Claude Gayssot,
a annoncé la suppression de la première classe sur
la banlieue parisienne dès le 1er septembre prochain.
Un coup des Rouges ou un effet de la lutte des classes ?
Locos à sens unique
LE RER parisien n'est pas le seul grand projet à réserver
des surprises à l'arrivée. Ainsi, au début
des années 90, les Français annoncent en fanfare
aux Italiens qu'ils vont bientôt trouver la solution pour
développer le transport transalpin de fret.
Il s'agit de nouvelles locomotives capables de fonctionner des
deux côtés de la frontière, malgré
des alimentations électriques différentes. Avec
ce nouvel équipement, les changements de loco ne seront
donc plus nécessaires en gare de Modane, réduisant
d'autant les temps de parcours sur l'axe Lyon-Turin-Milan.
En 1997, le premier de ces engins, facturés 30 millions
pièce, arrive à pied d'oeuvre en Savoie. Au premier
essai, la locomotive « modèle 36 000 », baptisée
« l'Astride », hisse sans encombre un train de marchandises
de Saint-Jean-de-Maurienne (altitude 570 mètres) jusqu'à
Modane (altitude 1 057 mètres). La rame n'ira pas plus
loin :
la locomotive est incapable de freiner correctement le convoi
dans la descente plutôt raide qui mène à Turin.
Le fabricant Alsthom (qui a dû payer 30 millions de pénalités
à la SNCF) n'a pas stoppé pour autant ses livraisons
de locos. Aujourd'hui, une soixantaine d'engins incapables de
réaliser le travail demandé sont dans les gares.
Même si les ingénieurs d'Alsthom n'ont pas encore
résolu ces stupides questions de freinage...
En attendant ce tour de force (promis, paraît-il, pour l'automne
prochain), la SNCF veut tout de même utiliser ces locomotives
aptes à monter une côte mais incapables de la redescendre.
La solution trouvée est digne du sapeur Camember.
A chaque arrivée à Modane d'un convoi en provenance
de Saint-Jean-de-Maurienne, la « 36 000 » est dételée
et remplacée par un engin italien. Mais, incapable de rentrer
toute seule à la maison, la loco doit être attachée
comme un vulgaire wagon à une collègue - en bon
état de marche, celle-ci- afin de redescendre dans la vallée
sans pépin.
Ces courts trajets ne pouvant suffire à occuper la soixantaine
d'engins livrés, la SNCF a décidé d'en utiliser
une trentaine sur un plat pays. C'est ainsi que trente locos de
montagne assurent une partie des transports de marchandises entre
la France et la Belgique. Sans risque...
Des cheminots contre le rail ?
Dans les Alpes,les polytechniciens de la SNCF semblent fâchés
pour de bon avec le transport de marchandises. Au
point de combattre avec la dernière énergie les
efforts des élus qui veulent le développer...
Après la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc, plusieurs
maires du coin avaient plaidé pour le « ferroutage
», un système de transport combiné rail-route.
Posés sur des wagons pendant la plus grande partie du trajet,
les camions n'assurent par eux mêmes que le trajet menant
à la gare. D'où une pollution et des encombrements
bien moindres.
Cette solution, apparemment de bon sens, même si elle nécessite
de gros travaux, la SNCF n'en veut pas. Pour tenter de convaincre
les élus, ses directions régionales de Lyon et Chambéry
ont été jusqu'à les inviter, tous frais payés,
en Suisse, seul pays au monde à pratiquer le ferroutage
à grande échelle.
Fin juin, les cheminots suisses ont ainsi reçu un étrange
coup de téléphone de leurs homologues français.
Un responsable du fret de la SNCF leur a expliqué tout
de go qu'il souhaitait organiser un voyage d'études en
Suisse, pour prouver que le ferroutage était une mauvaise
solution, et de plus inapplicable en France. D'abord stupéfaits
de se voir proposer pareille complicité, les Helvètes
ont franchement rigolé en découvrant la suite de
l'argumentaire des Français assurant que « la solution
suisse n'est pas économique puisqu'elle nécessite
des subventions ».
Et des subventions, c'est bien connu, la SNCF n'en a jamais demandé...
Jérôme Canard Le Canard Enchainé du 12/07/99
Quand je vous disais qu'on était dirigé par une bande de cons, je ne me trompais guère!
Entre eux et des syndicats qui ne veulent pas évoluer, on est foutu... Les routiers peuvent être tranquille.