Voila qui ne risque pas d'arranger les affaires des réseaux ferrés européen, si Bruxelles ne crée pas une loi pour endiguer ce risque, ce sont bientôt les chinois qui conduiront les camions, et ils seront payés moitié moins que les roumains. Il va falloir résister en sabotant les routiers dans nos montagnes, et eux saboterons les routiers de l'Est....

Willi Betz, le roi du dumping social

Avec ses 4 500 camions, conduits en majorité par des chauffeurs originaires des pays de l'Est, le routier allemand défie la concurrence.

Willi Betz ou comment s'engouffrer dans la faille et être plus royaliste que le roi en matière de concurrence. Ce pourrait être la morale de cette histoire. Depuis quelques mois, un routier allemand défraie la chronique de l'univers des transports : avec ses semi-remorques frappés du nom de son fondateur inscrit en grosses lettres bleues sur fond jaune, il envahit tranquillement les autoroutes d'Europe de l'Ouest. Et pour cause, ses 4 500 impeccables camions Mercedes sont conduits pour une grande majorité par des chauffeurs des pays de l'Est- Bulgares, Roumains, Russes, Kazakhs... , coûtant deux fois moins chers que ceux de l'Union européenne.
Ce qui provoque les hurlements de la concurrence, des salariés aux organisations patronales, qui crient au dumping social. Les réactions débordent le monde routier puisque Armand Toubol, le directeur de Fret SNCF exprime son inquiétude pour la SNCF avant d'ironiser : « Bientôt, c'est le transport routier français qui devra être subventionné. » Sur la route, Willi Betz commence à ressentir l'inimitié qu'il suscite : aucun de ses camions n'a été brûlé par les Espagnols comme la rumeur le dit, en revanche, « plusieurs flexibles reliant le tracteur au semi ont été coupés et quelques-uns de nos routiers ont été inquiétés », explique Ulrich Bornstein, le gérant de Willi Betz France. Sans doute un signe d'impuissance de la concurrence : car pour peu qu'il respecte les législations nationales en terme de conduite, l'inexorable activité de l'ogre allemand, qui pèse 4,8 milliards de francs de chiffre d'affaires, est parfaitement légale !
C'est que « Willi Betz gère son affaire de façon extrêmement astucieuse », constate Jacques-Henri Garban, le directeur général de l'Aftri, l'Association française des transporteurs routiers internationaux. Dès les années cinquante, en regardant vers l'Est, l'Allemand a posé les fondations de son succès. Dans les années soixante-dix, grâce à des accords commerciaux, les camions de l'entreprise basée à Reutlingen, en Bade-Wurtemberg, naviguent vers le Proche-Orient et l'Asie centrale. Permis par la chute du Mur, le coup de maitre a lieu en 1997 : l'Allemand finit de racheter la Somat - l'ancien transporteur du bloc de l'Est basé en Bulgarie - et ses filiales, dont il a commencé à prendre le contrôle en 1994. Il acquiert ainsi d'un coup 2 000 camions. Fort de ses liens avec Mercedes, dont il est l'importateur en Bulgarie, il modernise la flotte mais conserve les 4 000 chauffeurs, durs à la tâche et peu coûteux. Bien plus, avec la Somat, il récupère dans son escarcelle les fameuses autorisations CEMT : elles lui permettent de venir affronter les grands transporteurs européens, comme Norbert Dentressangle, à l'intérieur de leurs frontières. Tous les ans, à travers la conférence européenne des ministres des Transports, l'Union autorise ses voisins à faire circuler un quota de camions non seulement entre l'Union et ses voisins mais aussi à l'intérieur de l'Union.
Des autorisations dont il use à plein depuis la crise économique en Russie - le marché a fondu de 70 % -, qui l'a obligé à déployer une bonne partie de sa flotte vers l'ouest de l'Europe. Un exemple de cabotage : cet équipage bulgare rencontré au tunnel du Fréjus qui effectue le trajet Angleterre - Italie, Italie - Angleterre, avant de rejoindre son port d'attache.
Gérant au plus fin ses autorisations unilatérales et multilatérales, jouant sur la multitude de ses filiales qui quadrillent l'Europe de l'Atlantique à l'Oural, capable ainsi de mettre, du jour au lendemain, plusieurs semi à la disposition de ses clients, Willi Betz dérange. « C'est toute l'ambiguïté : ce qu'il fait est légal à moins de placer des Roumains ou des Biélorusses à la tête d'un camion immatriculé en Autriche ou en France, mais Willi Betz n'est pas fou », constate Bernard Fournier, sous-directeur des Transports routiers. Impuissants, plusieurs pays tentent de s'organiser. Le Benelux et la France viennent de conclure un accord pour renforcer les contrôles routiers.
« Nous sommes simplement en avance sur les autres, plaide UIrich Bornstem, en pensant à un clone, le transporteur routier allemand Fixemer. La législation européenne va dans le sens de la libéralisation : nous nous y adaptons, et nous sommes obligés d'être ingénieux car nous ne touchons aucune subvention publique. » Un discours qui fait grincer bien des dents chez ceux qui, jusqu'à présent, se faisaient les chantres de la concurrence et qui se tournent à présent vers Bruxelles.

Marc FRESSOZ LA VE du RAIL 27 octobre 1999