Willi Betz, le roi du dumping social
Avec ses 4 500 camions, conduits en majorité par des chauffeurs originaires des pays de l'Est, le routier allemand défie la concurrence.
Willi Betz ou comment s'engouffrer dans la
faille et être plus royaliste que le roi en matière
de concurrence. Ce pourrait être la morale de cette histoire.
Depuis quelques mois, un routier allemand défraie la chronique
de l'univers des transports : avec ses semi-remorques frappés
du nom de son fondateur inscrit en grosses lettres bleues sur
fond jaune, il envahit tranquillement les autoroutes d'Europe
de l'Ouest. Et pour cause, ses 4 500 impeccables camions Mercedes
sont conduits pour une grande majorité par des chauffeurs
des pays de l'Est- Bulgares, Roumains, Russes, Kazakhs... , coûtant
deux fois moins chers que ceux de l'Union européenne.
Ce qui provoque les hurlements de la concurrence, des salariés
aux organisations patronales, qui crient au dumping social. Les
réactions débordent le monde routier puisque Armand
Toubol, le directeur de Fret SNCF exprime son inquiétude
pour la SNCF avant d'ironiser : « Bientôt, c'est
le transport routier français qui devra être subventionné.
» Sur la route, Willi Betz commence à ressentir
l'inimitié qu'il suscite : aucun de ses camions n'a été
brûlé par les Espagnols comme la rumeur le dit, en
revanche, « plusieurs flexibles reliant le tracteur au
semi ont été coupés et quelques-uns de nos
routiers ont été inquiétés »,
explique Ulrich Bornstein, le gérant de Willi Betz France.
Sans doute un signe d'impuissance de la concurrence : car pour
peu qu'il respecte les législations nationales en terme
de conduite, l'inexorable activité de l'ogre allemand,
qui pèse 4,8 milliards de francs de chiffre d'affaires,
est parfaitement légale !
C'est que « Willi Betz gère son affaire de façon
extrêmement astucieuse », constate Jacques-Henri
Garban, le directeur général de l'Aftri, l'Association
française des transporteurs routiers internationaux. Dès
les années cinquante, en regardant vers l'Est, l'Allemand
a posé les fondations de son succès. Dans les années
soixante-dix, grâce à des accords commerciaux, les
camions de l'entreprise basée à Reutlingen, en Bade-Wurtemberg,
naviguent vers le Proche-Orient et l'Asie centrale. Permis par
la chute du Mur, le coup de maitre a lieu en 1997 : l'Allemand
finit de racheter la Somat - l'ancien transporteur du bloc de
l'Est basé en Bulgarie - et ses filiales, dont il a commencé
à prendre le contrôle en 1994. Il acquiert ainsi
d'un coup 2 000 camions. Fort de ses liens avec Mercedes, dont
il est l'importateur en Bulgarie, il modernise la flotte mais
conserve les 4 000 chauffeurs, durs à la tâche et
peu coûteux. Bien plus, avec la Somat, il récupère
dans son escarcelle les fameuses autorisations CEMT : elles lui
permettent de venir affronter les grands transporteurs européens,
comme Norbert Dentressangle, à l'intérieur de leurs
frontières. Tous les ans, à travers la conférence
européenne des ministres des Transports, l'Union autorise
ses voisins à faire circuler un quota de camions non seulement
entre l'Union et ses voisins mais aussi à l'intérieur
de l'Union.
Des autorisations dont il use à plein depuis la crise économique
en Russie - le marché a fondu de 70 % -, qui l'a obligé
à déployer une bonne partie de sa flotte vers l'ouest
de l'Europe. Un exemple de cabotage : cet équipage bulgare
rencontré au tunnel du Fréjus qui effectue le trajet
Angleterre - Italie, Italie - Angleterre, avant de rejoindre son
port d'attache.
Gérant au plus fin ses autorisations unilatérales
et multilatérales, jouant sur la multitude de ses filiales
qui quadrillent l'Europe de l'Atlantique à l'Oural, capable
ainsi de mettre, du jour au lendemain, plusieurs semi à
la disposition de ses clients, Willi Betz dérange. «
C'est toute l'ambiguïté : ce qu'il fait est légal
à moins de placer des Roumains ou des Biélorusses
à la tête d'un camion immatriculé en Autriche
ou en France, mais Willi Betz n'est pas fou », constate
Bernard Fournier, sous-directeur des Transports routiers. Impuissants,
plusieurs pays tentent de s'organiser. Le Benelux et la France
viennent de conclure un accord pour renforcer les contrôles
routiers.
« Nous sommes simplement en avance sur les autres, plaide
UIrich Bornstem, en pensant à un clone, le transporteur
routier allemand Fixemer. La législation européenne
va dans le sens de la libéralisation : nous nous y adaptons,
et nous sommes obligés d'être ingénieux car
nous ne touchons aucune subvention publique. » Un discours
qui fait grincer bien des dents chez ceux qui, jusqu'à
présent, se faisaient les chantres de la concurrence et
qui se tournent à présent vers Bruxelles.
Marc FRESSOZ LA VE du RAIL 27 octobre 1999