Histoire: C'était hier

 

La mine de Courrières explose

10 Mars 1906. 1 099 mineurs vont y trouver la mort mais 14 rescapés refont surface trois semaines après la catastrophe.

Dans le triste palmarès des catastrophes, Courrières figure au premier rang dans la catégorie des accidents souterrains. Et pour cause ! Le samedi 10 mars 1906, 1 099 gueules noires vont trouver la mort dans les 250 kilomètres de galeries forées dans le sous-sol houiller de ce chef.lieu de canton du Pas-de-Calais proche de Lens, par une compagnie minière fondée en 1852.

A cinq heures du matin, 1 800 mineurs ont plongé dans les entrailles de la terre, rejoignant les fronts de taille aux noms riants : Joséphine, Adélaïde ou Eugénie.

Il manque quelques hommes qui, ayant constaté des signes d'inquiétude chez les chevaux, ont refusé de descendre. Cet instinct animal corrobore les analyses de Pierre Simon, un délégué mineur qui a déjà dénoncé plusieurs fois la présence de poussiére de charbon dans les galeries et note, une semaine auparavant : "Il serait urgent de faire une trouée... on suffoque!" Pire encore : depuis plusieurs jours un incendie couvait à la cote -280 et pouvait dégager du gaz hautement inflammable.

Mais, pour les représentants de la direction, il n'est pas question de stopper, ne serait.ce qu'une journée,l'exploitation de ces filons qui rapportent bon an, mal an, six à sept millions de francs-or aux actionnaires de la compagnie.

D'ailleurs la mine est réputée si sûre que les mineurs ne sont pas équipés de lampes de sécurité Wolf mais de simples lampes à huile à feu nu et qu'ils sont autorisés à fumer.

A 6 h 30 les rares hommes qui sont sur le carreau de la mine entendent une première détonation, assez faible. Elle est tout de suite suivie d'une série de bruits sourds et la cage du puits 4 jaillit et tue l'ouvrier chaudronnier qui était en train de réparer le toit du chevalet.

Et un instant plus tard une poignée d'hommes hagards surgissent du puits II, persuadés qu'ils sont les seuls survivants tant ils ont eu l'impression de revenir de l'enfer.

Car le feu et les gaz toxiques, en un éclair, avaient parcouru une centaine de kilomètres de galeries et tué tous ceux qui s'étaient trouvés sur le passage de ce souffle ardent. Fort heureusement, dans les heures et les jours qui suivirent, les sauveteurs retrouvèrent plus de 600 rescapés.

Pendant que les veuves et les mères se voilaient de noir, que les mineurs du bassin lensois entraient dans une grève de sept semaines, que les gendarmes et la troupe gardaient avec vigueur les installations, que les journalistes polémiquaient, quatorze hommes, dont deux enfants de 13 ans, Martin et Anselme, entamaient, dans 1 nuit absolue qui allait durer 21 jours, une atroce remontée vers la sortie du puits.

Triomphant de leur peur, de leur détresse à chaque foi qu'ils devaient enjamber le cadavre d'un camarade, de 1a faim - Anselme mangea même la mèche de sa lampe et 1e col de sa chemise - de la soif en buvant leur urine, du froid, ils parvinrent à remonter les 300 mètres qui les séparaient du paradis et à venir à bout d'un dernier obstacle : la porte hermétiquement close du puits qu'il durent défoncer à coups de pic. Les ingénieurs avaient décidé de murer la mine, condamnant beaucoup d'autre mineurs à enfler l'effroyable bilan de 1 099 morts.

Jacques BOUVIER Le Dauphiné Libéré 03/99