Crise des carburants. La piste des camions sur trains
Le blocage des routes par les transporteurs routiers en colère
a souligné l'absence de solution concrète pour amener
les camions vers le rail. Et si la route roulante qui, après
la Suisse, gagne l'Est de l'Europe, était une piste à
suivre ? La SNCF et le ministre des transports commencent à
y songer alors que depuis trois ans, un routier cherche à
prendre le train en France.
La route roulante est-elle la charnière manquante qui permettrait
un basculement immédiat- limité mais symbolique
- des camions sur le rail ? Cette question, le ministère
des Transports et la SNCF commencent à se la poser sérieusement
après le blocage de la France par les routiers et alors
que le mouvement a gagné la Belgique, l'Angleterre, l'Allemagne
et la Hollande. Les 12 et 13 septembre, ministère et SNCF
ont successivement rappelé les études qu'ils avaient
engagées
il y a quelques mois pour un éventuel transport de camions
par train sur la ligne actuelle de Dijon-Lyon-Turin. L'idée
étant de ne pas attendre la Trinité avec le Lyon-Turin
prévu pour 2020, mais seulement peut-être Pâques,
c'est-à-dire 2005, pour que cette solution soit appliquée,
même si Francis Rol-Tanguy le directeur du Fret, s'est montré
réservé ( la Vie du Rail du 12 septembre).
Après les nouvelles réductions accordées
aux routiers sur le prix du gazole, il s'agit pour le ministre
des Transports de faire baisser la pression. Car des voix s'élèvent
du monde politique - comme celle du Vert Yves Cochet (voir
interview) - ou du landernau ferroviaire pour constater qu'après
trois ans de présence de Jean-Claude Gayssot au ministère,
les camions sont toujours plus nombreux sur les routes. Elles
redoutent qu'au-delà des déclarations en faveur
du rail, les moyens et même la politique en oeuvre ne visent
en réalité qu'à retarder les évolutions
historiques voulues par Bruxelles. Et ce en dépit des contrats
de plan 2000-2006 qui prévoient pour la première
fois des investissements en faveur du fret ferroviaire. Dans une
tribune remarquée, publiée dans les Echos du 25
août, Christian Bourdoiseau, consultant ferroviaire et ancien
du groupe SNCF brocardait ainsi les « discours de satisfaction
sur le développement du transport combiné et professions
de foi en son avenir ».
Pour lui, « on se complaît dans de fausses initiatives
», citant le subventionnement d'un train de combiné
qui tourne presque à vide, entre Lyon et Orbassano.
Grève, reculade ou faillite d'entreprises : la récente
crise des routiers montre que, sans alternative, les subventions
du carburant, à vocation écologique ou non, conduisent
à la sortie de route. . . mais pas dans le sens attendu
! Car, contrairement à la Suisse, qui a depuis des années
bâti une offre ferroviaire cohérente, ici, les restrictions
imposées aux routiers ne sont pas assorties d'échappatoire
assez crédible. Et si en France, comme en Europe, le combiné
est en forte reprise depuis début 2000, le nombre actuel
et à venir de locomotives de la SNCF le manque de capacité
des terminaux ne suffiront pas à faire baisser la part
de la route.
Par ailleurs comme le rappelle l'Unostra, syndicats des petits
transporteurs, « la route française est composée
de 37 000 entreprises dont 95 % ont moins de 50 salariés
».
A l'inverse des grands groupe comme Calberson, Aubry, Norbert
Dentressangle, il est difficile pour ces PME, d'investir dans
des camions adaptés au transport de caisse rail-route.
Difficile également d'appliquer ce principe formulé
par certains cadres de la SNCF après l'incendie du tunnel
du Mont-Blanc, pour qui « la route doit s'adapter au rail
et non le rail à la route ».
Au bord du chaos, le rail n'a pas cette
fierté-là à l'Est de l'Europe. Il connait
un certain renouveau depuis qu'il est allé chercher les
camions. Depuis 1992, peu après la chute du mur de Berlin,
qui a boosté les échanges, on assiste en Hongrie,
en Slovénie, en Autriche, en République Tchèque
et bientôt en Roumanie et en Bulgarie à un véritable
essor de la route roulante :
on compte pas moins de 18 routes roulantes (y compris Eurotunnel)
en Europe, dont la plupart à l'Est.
Aujourd'hui, grâce à l'opérateur Hungarokombi,
qui gère 4 destinations, un transporteur peut mettre son
camion sur le train entre Sopron, en Hongrie, et Wels, en Autriche,
pour 280 euros ( 800 francs). Un départ toutes les 5 heures,
7 jours sur 7, pour 8 heures de trajet. Un portail Internet, comme
celui que CNC et Novatrans entendent ouvrir, permet depuis déjà
longtemps de connaître les disponibilités et de réserver
sa place.
A l'Est, cet essor du transport de camions sur rail « est
favorisé par la saturation des routes et autoroutes et
par leur mauvais état », explique l'UIRR qui note
également que le gabarit des infrastructures ne requiert
pas beaucoup d'aménagements. La route roulante ne sert
pas à franchir des obstacles naturels, comme en Suisse,
mais bien des montagnes d'embouteillages.
« Dans cette partie de l'Europe, les routes sont vétustes
ou pas assez développées et les routiers perdent
des heures d'attente. Aux frontières, ce sont parfois des
journées entières », détaille l'Union
internationale des sociétés de transport combiné
rail-route (UIRR). D'où la création, en 1994, d'un
service de route roulante entre la Saxe et la République
Tchèque, qui va bientôt fêter son 500 000e
camion transporté.
Aujourd'hui, la route roulante assure 22 % des transports effectués
par les entreprises membres de l'UIRR, qui la voient comme une
solution d'avenir face à la saturation
des routes chez nous. Peu connu, ce fleurissement à l'Est
renverse en fait un certain nombre d'idées reçues.
Avec son deuxième âge, la route roulante cesse d'apparaître
comme une spécialité helvéticosuisse : l'interdiction
de la route à la majorité des camions, la courte
distance, des obstacles naturels et un subventionnement généreux
ne sont plus les conditions à son apparition.
Et en France ? Depuis une dizaine d'années, l'idée
de route roulante semble avoir été paradoxalement
tuée par l'ambitieux projet porté par la SNCF dans
les années 90.
Il s'agissait d'envisager une autoroute ferroviaire au gabarit
du tunnel sous la Manche entre Lille et Marseille. Coût
: 100 milliards de francs. Qui ont suffi à faire rimer
pour longtemps transport de camion sur train avec usine à
gaz auprès des décideurs, et même des écologistes.
Aujourd'hui, dans l'urgence, le gouvernement remet donc au goût
du jour ce mariage entre camion et rail, en annonçant une
réflexion sur l'axe Dijon-Modane. Mais cette précipitation
contraste avec la lenteur avec laquelle les pouvoirs publics envisagent
l'examen approfondi d'un projet de route
roulante qui leur est soumis depuis trois ans par un routier allemand,
Roos, et que la Vie du rail suit depuis lors. Le projet, qui
vise l'axe Toul-Rivesaltes, est aujourd'hui soutenu par les Verts
qui réclament du concret. Les difficultés semblent
venir de RFF l'établissement public gestionnaire du réseau,
qui n'engagera des études sur les éventuels travaux
relatifs aux ouvrages d'art - qu'il juge très importants
- qu'à condition que le routier les paie. Reste que, malgré
cette opposition, on ne connait pas la position officielle de
jean-Claude Gayssot sur le projet Roos Rail. La Vie du rail lui
a posé la question en juin, mais la réponse... n'est
pas encore arrivée.
On attend donc de savoir si le ministre des Transports veut vraiment
mettre les camions dans les bras de la SNCF ou les faire attendre
sur le paillasson.
Marc FRESSOZ LVDR du 20-09-2000
Le
projet Roos Rail.
Depuis 1997, Roos, un routier allemand, cherche à monter
un service de route roulante pour transporter ses camions et ceux
d'autres routiers entre Toul et Rivesaltes. Sa filiale Roos Rail,
installée en France, est prête à investir
500 millions dans des wagons surbaissés et dans l'aménagement
de terminaux. « Nous ne demandons pas de subvention pour
monter ce service dont la traction serait assurée par la
SNCF Mais nous n'arrivons pas à connaître les travaux
qu'il faudrait faire sur la voie. Reste que le wagon que nous
souhaitons utiliser entre Toul et Rivesaltes - le même que
celui circulant en Suisse, en Autriche et bientôt en Roumanie
- est en cours d'homologation à la SNCF... explique Franjo
Mihaljuk, le directeur du développement de Roos Rail. Il
explique que pour Roos, dont les camions tournent entre l'Allemagne
et l'Espagne, ce service permettrait de gagner du temps en s'affranchissant
des temps de pause obligatoires. En outre, cette route roulante
dessaturerait l'A7.
PARIS - LONDRES EN ROUTE ROULANTE
Pourquoi pas une route
roulante entre Paris et Londres sur 400 km.
C'est ce que propose l'Adacte; l'Association des actionnaires
d'Eurotunnel, qui regrette que le transport de camion par rail
ne soit pas étendu au-delà des quelque 50 km du
tunnel sous la Manche.
L'association demande donc qu'une expérimentation soit
faite avec du matériel adapté - les navettes Eurotunnel
sont au gabarit de l'autoroute ferroviaire et ne peuvent circuler
sur le réseau actuel -, l'idée étant de réduire
la circulation sur l'A1.
Yves Cochet : « Les Verts sont favorables au projet Roos Rail »
Le vice-président
de l'Assemblée nationale vient de remettre,
le 14 septembre, 137 propositions pour l'environnement à
Lionel Jospin.
La Vie du Rail : Les récents barrages routiers n'ont-il
pas montré qu'une hausse des taxes sur les camions aboutit
dans le mur, dans la mesure où, en France, il n'existe
pas d'alternative ferroviaire sérieuse pour les transporteurs
?
Yves Cochet : C'est en effet une des leçons à
tirer. On peut faire des déclarations généreuses
sur le basculement de la route vers le rail pour le fret d'ici
2010 ou en faveur du ferroutage ou du transport combiné.
Mais pour cela, il faut que l'offre existe. Or, contrairement
à la Suisse, l'Autriche ou l'Allemagne, ce n'est quasiment
pas le cas en France. Nous sommes favorables à ces investissements,
qui doivent être faits rapidement.
Il y a, en France, un projet qui existe sur le papier, mais où
les pouvoirs publics, la SNCF et RFF doivent prendre une décision
: c'est le projet de route roulante de Roos Rail qui pourrait
ouvrir entre Toul et Rivesaltes, sur 800 km, et désaturerait
l'autoroute A7. Les Verts y sont très favorables. Pour
qu'à terme, cette solution économise de l'énergie,
de la pollution, du pétrole, des devises et des accidents,
il faut au départ mettre un peu d'argent. C'est l'un des
messages que nous souhaitons faire passer au gouvernement.
LVDR : Mais RFF et la SNCF semblent opposés au projet
Roos Rail et assez réservés sur le transport de
camion par rail ?
Y C. : Une des raisons invoquées par eux consiste
à dire que ce n'est pas possible sur les voies existantes,
à moins d'investissements très importants. Et si
l'État se décide, le problème résidera,
selon eux, dans le taux d'usure accélérée
des rails en raison du poids plus importants des trains chargés
de camions.
Et, à notre suggestion d'utiliser les lignes nouvelles
pour le ferroutage, la SNCF rétorque que les pentes allant
jusqu'à 35%o sur les lignes à grande vitesse nécessiteraient
des locomotives très puissantes. Ce sont des arguments
techniques, mais je pense que ce sont de faux arguments.
LVDR : La semaine dernière, vous avez présenté
à Lionel Jospin 137 propositions pour le respect de l'environnement.
Certaines sont reprises du programme électoral de René
Dumont en 1974 : c'est dire qu'on a du mal à modifier la
politique structurelle et en particulier l'équilibre rail-route.
Y C. : En vérité, le gouvernement est soumis
à des pressions considérables de la part du lobby
routier, autoroutier, pétrolier, automobile et de la direction
des routes, qui
est beaucoup plus puissant que le lobby ferroviaire, malgré
le fait que jean-Claude Gayssot soit un ministre cheminot ! Il
faut continuer à influer pour que le budget du rail soit
rééquilibré par rapport à la route.
On va essayer de le faire pour le budget 2001. Par ailleurs, les
donneurs d'ordre du fret disposent d'un argument qui a une certaine
portée. Ils préfèrent, disent-il, avoir affaire
à la route où ils peuvent disposer de dizaines de
milliers d'entreprises, alors que pour le rail, il n'existe qu'un
acteur, la SNCF . Il suffit d'une grève, comme cela arrive
parfois, pour que tout se retrouve bloqué pendant huit
jours. Le transport par rail est très sensible au climat
social et peut perdre des parts de marché du jour au lendemain.
D'un autre côté, le route est structurellement avantagée
car elle ne paie pas ses coûts. C'est un vrai problème
et nous espérons que nos propositions à ce sujet
seront intégrées par le gouvernement.
Propos recueillis par Marc FRESSOZ LVDR 20-09-00
Des routiers mariés avec le rail depuis 30 ans
L'Union internationale des sociétés
de transport combiné rail-route (UIRR), qui fêtait
ses 30 ans la semaine dernière, est depuis cette époque
le point de contact entre camion et train. Installée à
Bruxelles, elle représente la plupart des opérateurs
de transport combiné européen, hormis ICF, qui ont
été fondés par des routiers et des commissionnaires
de transports pour promouvoir le trafic rail-route sous toutes
ses formes. L'expérience fait ressortir deux solutions
: le conteneur prédomine avec 69 % du trafic tandis que
le semi-remorque, trop compliqué, semble voué à
disparaître (9 % des parts de marché). A l'évidence,
avec 22 % du trafic, la route roulante a la faveur des routiers,
malgré l'inconvénient du poids mort transporté.
En 1999, le trafic total du combiné a marqué un
recul historique en Europe. L'occasion pour l'UIRR de dénoncer
les piètres qualités et le coût des prestations
fournies par les tractionnaires nationaux et de réclamer
l'ouverture à la concurrence. Depuis le début d'année,
le trafic remonte mais la qualité reste très médiocre.
« Les retards atteignent en moyenne 3 heures et parfois
beaucoup plus », note Eric Feyens, permanent de l'UIRR.
Classés par l'importance du nombre d'envois internationaux,
voici la liste des membres de l'UIRR :
Kombiverkehr (Allemagne), HUPAC (Suisse), ÔKombi (Autriche),
Cemat (Italie), Novatrans (France), Hungarokombi (Hongrie), TRW
(Belgique), Bohemiakombi ( République Tchèque),
CTL (Grande Bretagne), Trailstar (Pays-Bas), Adria Kombi, (Slovénie),
Polkombi (Pologne), Combiberia (Espagne), Swe-kombi (Suède),
Kombi Dan (Danemark), Crokombi (Croatie), CS Eurotrans (Slovaquie),
Portif (Portugal). CNC est membre associé.
Suisse, Hongrie,
Allemagne, Autriche...sur les rails
C'est en Suisse qu'est né, dans les années 70, le
transport de camions par train. En 2001, l'opérateur Hupac
doit ouvrir une quatrième route roulante capable de transporter
des camions de 4 mètres. D'autres pays alpins comme l'Autriche
et l'Allemagne lui ont ensuite emboîté le pas. La
chute du mur de Berlin en 1989 a donné une seconde vie
à la route roulante : cette solution ne permet pas non
plus de franchir des obstacles naturels mais remédie à
la saturation des infrastructures routières. Elle épargne
aux routiers une adaptation au combiné classique.
Seul lien au gabarit d'autoroute ferroviaire, le tunnel sous la
Manche (un peu plus de 50 km) est atypique.