Alors que les écologistes continuent à se mobiliser
contre la mise en circulation du tunnel routier du Somport, le
conseil régional à inscrit au contrat de plan la
réfection de la liaison ferrée entre les Pyrénées-Atlantiques
et l'Aragon, en Espagne
TOULOUSE de notre correspondant
Ils étaient encore près
de quatre mille manifestants, dimanche 7 mai, côté
français, contre le tunnel du Somport ; une nouvelle mobilisation
est prévue, le 21 mai, mais côté espagnol.
En vallée d'Aspe, la controverse passionnelle qui oppose
depuis quinze ans partisans et détracteurs du projet est
pourtant en passe de s'achever par un « match nul ».
La mise en circulation du nouveau tunnel routier sur la N 134,
vivement contestée par les écologistes, est sans
cesse repoussée. Et le vieux tunnel ferroviaire, construit
au début du siècle à la frontière
franco-espagnole, pourrait reprendre du service.
En effet, depuis le 19 avril, la réouverture de la ligne
Pau-Canfranc figure très officiellement dans le contrat
de plan signé entre l'État et la région Aquitaine.
Une première enveloppe de 340 millions de francs (51,5
millions d'euros) est inscrite pour permettre aux trains de circuler
à nouveau sur les 58 kilomètres du trajet entre
la petite ville d'Oloron-Sainte-Marie (Pyrénées-Atlantiques)
et l'immense gare internationale perdue dans la station touristique
de Canfranc (Aragon).
Trente ans après la fermeture de la voie ferrée
internationale inaugurée en 1928, cette renaissance annoncée
a valeur de symbole.
Quand un train de marchandises s'écrasa accidentellement
contre un pont, le 27 mars 1970, personne ne protesta vraiment
contre la décision de la SNCF de fermer une ligne considérée
comme désuète, qui s'en allait mourir dans un village
perdu au fin fond de l'Espagne franquiste. Il aura fallu le projet
de percement d'un tunnel routier facilitant les échanges
avec un pays désormais intégré dans l'Union
européenne pour que les rails rouillés de la voie
abandonnée aux herbes folles soient de nouveau pris en
considération.
Fondé en 1986, le Comité pour la réouverture
de la ligne Oloron-Canfranc (Creloc) a pourtant longtemps prêché
dans le désert.
Même les plus radicaux des militants écologistes,
comme Eric Pététin , préféraient se
battre contre le tunnel routier plutôt que pour le retour
du train.
Pour la bande d'«Aspaches » retranchés dans
l'ancienne gare de Cette-Eygun, la perspective de voir passer
toute la journée des convois de marchandises n'était
guère plus réjouissante que la vision des camions
sur la route nationale qui traverse la vallée.
Le rail a toutefois remonté la pente, au point d'être
aujourd'hui plébiscité. Un sondage publié
par Sud-Ouest, en juin 1999, a révélé que
73 % des Aquitains se déclaraient favorables à la
réouverture de la ligne. Quelques semaines plus tôt,
le tragique accident dans le tunnel du Mont-Blanc avait démontré
aux yeux de tous les risques causés par la circulation
des poids-lourds en montagne.
Alors que la voie ferrée fait désormais l'unanimité
politique, du président (UDF) du conseil général
des Pyrénées-Atlantiques, François Bayrou,
au président (PS) du conseil régional d'Aquitaine,
Alain Rousset, la SNCF et Réseau ferré de France
(RFF), l'établissement chargé de gérer les
infrastructures ferroviaires nationales, apparaissent paradoxalement
comme les derniers obstacles au retour des trains en vallée
d'Aspe.
Le président du Creloc, Alain Cazenave, dénonce
la «culture anti-Canfranc de la SNCF». Les techniciens
du rail redoutent les fortes pentes et le vieux tunnel hélicoïdal
de la ligne, qu'ils jugent inadaptés au transport ferroviaire
moderne. « L'ouverture de Pau-Canfranc a été
une longue aventure, sa réouverture l'est aussi»,
prévient M. Rousset.
SCÉNARIO INTERMÉDIAIRE
La question qui se pose aujourd'hui
pour le chemin de fer en vallée d'Aspe est la même
qui se posait hier pour la route : simple itinéraire touristique
et de desserte intervalléenne, ou couloir de fret international
pour les marchandises ? Un rapport commandé par le conseil
régional d'Aquitaine a étudié les deux hypothèses,
déclinées en trois scénarios.
L'hypothèse la plus ambitieuse prévoit de poursuivre
la ligne jusqu'à Saragosse avec une nouvelle voie électrifiée
à écartement international qui pourrait voir passer
douze trains de voyageurs et trente convois de marchandises ;
celle-ci représente un coût total de 2,4 milliards
de francs, dont 580 millions (88,4 millions d'euros) pour la partie
française. Il a également été envisagé
de ne rouvrir qu'une petite partie de la ligne, jusqu'à
Bedous, avant la montée la plus rude vers la frontière,
pour seulement 13 millions de francs (1,98 million d'euros).
C'est le prix d'un bucolique train touristique qui visiterait
la vallée d'Aspe à 30 kilométres/heure, et
dont la gestion aurait pu être concédée à
une entreprise privée.
Les 340 millions de francs inscrits au contrat de plan correspondent
au scénario intermédiaire d'une ligne mixte - six
trains de voyageurs et huit trains de fret quotidiens - jusqu'à
Canfranc avec des locomotives Diesel. A la région, on assure
qu'il ne s'agit que d'une première tranche destinée
à entraîner les indispensables participations financières
de l'Espagne et de l'Europe, mais on s'interdit de pronostiquer
la date de passage du premier train sur la ligne. « Je suis
optimiste, mais je n'y croirai vraiment que lorsque j'aurai vu
le premier train pénétrer dans le tunnel des Forges-d'Abel
», tempère le président du Creloc.
Stéphane Thépot Le Monde du 11 mai 00