« General Motors m'a tuer», pourraient
crier les tramways, s'ils avaient une voix. Planète diffuse
un document de 1996, combinant journalisme d'investigation et
histoire de l'urbanisme, qui révèle comment la firme
automobile a fomenté et réussi l'éradication
des tramways américains, avant de façonner des villes
subordonnées à la voiture et aux autoroutes. Combines,
pots de vins et contournement de la loi anti-trust : toutes les
armes seront bonnes pour qu'elle arrive à ses fins. Résultat
: le pays peut aujourd'hui se vanter d'avoir l'un des plus mauvais
réseaux de transport en commun.
Tout commence dans les années vingt. A l'époque,
seul un Américain sur dix possède une voiture. Pour
General Motors, le calcul est simple : c'est 90 % de clients qui
sommeillent. Sa stratégie va consister, entre 1926 et 1936,
à démanteler le réseau de tramway en prenant
des participations dans le chemin de fer et en imposant le bus,
moins rapide et plus contraignant.
Objectif : dégoûter les usagers et les faire venir
à la voiture, promue symbole du progrès. Pour ce
faire, elle achète la plus grande entreprise de bus du
pays, et fonde, en 1936, avec un homme de paille, la National
City Lines (NCL). La société va devenir leader du
marché des transports urbains. Sa première victime
sera New York. Là, les voies de circulation automobile
vont remplacer les rails, et les bus jaunes vont prendre la place
des trams.
Tout s'enchaîne implacablement.
"A Los Angeles, témoigne un cheminot, ils ont réduit
petit à petit la fréquence. Le service est devenu
de moins en moins attractif( ils ont augmenté le prix des
billets et vidé les caisses puis ils nous ont dit : "vous
voyez, ce n'est pas rentable. "Les licenciements n'ont pas
tardé.
En 1946, la NCL détient les transports en commun de 83
villes des Etats-Unis. Edwin Quinby défenseur du rail,
dénonce le complot de mainmise totale auprès des
personnalités les plus influentes. General Motors est un
temps sur la sellette, mais aucune procédure ne se révélera
efficace pour freiner les ambitions du géant de l'automobile.
Bien que les trams aient été bondés pendant
la guerre, la NCL impose le bus comme alternative simple et économique
à la remise en état d'un réseau très
sollicité pendant le conflit. A Los Angeles, c'est la fin
des fameux Redcars, exploités par Pacific Electric, malgré
les protestations.
General Motors va aussi créer le lobby autoroutier. Plus
drôle, son PDG, en 1953, nommé secrétaire
à la Défense par le président des Etats-Unis,
Eisenhower, présente la construction d'autoroutes comme
un enjeu décisif pour la sécurité nationale.
Le cercle vicieux est bouclé.
Françoise EMSALEM LVDR du 15-09-99