Les nouvelles voies du tramway

Encouragés par le renouveau du tramway en France, les spécialistes des infrastructures mettent au point des voies moins coûteuses.

Soixante-dix millions de francs le kilomètre, soixante-cinq millions... qui dit moins ! Les constructeurs multiplient les annonces sur le prix du tramway, qu'il soit sur rails ou sur pneus. Si la facture n'a pas chuté autant qu'ils le clament - le tramway d'Orléans coûtera encore 100 millions de francs le kilomètre -, les constructeurs ont effectivement réalisé des économies importantes en bouleversant la conception des rames. Mais pas seulement.

Encouragés par l'envol du marché français, les spécialistes de l'infrastructure inventent de nouvelles voies moins chères." Le renouveau du tramway en France a engendré un foisonnement de recherches ", reconnaît Jean-Claude Guédé, directeur général de Seco-DGC et président du Syndicat des entreprises de travaux ferroviaires français. D'autant plus que le terrassement et la voie représentent jusqu'à 30 % de l'investissement.

En réintroduisant le tramway en France, dans les années 80, les entreprises de travaux publics s'étaient inspirées des voies ferroviaires ( ATTENTION, ce ne sont pas les entreprises de T.P. qui ont réintroduit le tramway en France ...NDLR). Les plates-formes de tramway sont donc constituées pour la plupart de traverses en béton, elles-mêmes calées dans une couche de béton, et sur lesquelles sont fixés les rails. Semaly, leader de l'ingénierie du tramway en France, est partisan de conserver les traverses.

" Elles permettent de régler la voie au millimètre près sans avoir recours à des gabarits très coûteux ", explique Gabriel Chanel, ingénieur principal à la Semaly.

Pour réduire la hauteur de terrassement, et donc les frais de pose, la Semaly et le fabricant de traverses Sateba ont développé une traverse dotée d'armatures métalliques à sa base. " Grâce à ces épingles, la traverse participe mieux à la résistance de la structure " précise Denis Vallet, directeur général adjoint de Sateba. Du coup, la hauteur de la sous-couche de béton peut-être réduite de 10 centimètres. Une voie de 200 mètres va être mise en exploitation à Strasbourg." Le coût a été abaissé de 10 % ",observe Gabriel Chanel.

Une deuxième piste consiste à se passer de traverses. La hauteur de plate-forme est ainsi réduite, et les coûts de génie civil allégés. Systra va ainsi poser sur la première section du tramway d'Orléans une voie dont les selles de rails sont directement calées dans du béton armé.

L 'utilisation de gabarits induit un temps d'installation légèrement plus long. " Mais la hauteur de terrassement est réduite de 14 centimètres, on gagne en volume de génie civil, et le coût est sensiblement inférieur " , explique Gérard Arrondeau, responsable chez Systra, de la voie ferrée du tramway d'Orléans. De plus, une éclisse constituée de caoutchouc est intercalée entre le rail et le revêtement (pavés, dalles...). Elle permet de limiter la transmission des mouvements du rail au revêtement et d'en éviter la dégradation.

Seco-DGC se lance également dans la voie sans traverses, mais en misant sur un rail entouré de sa jaquette antivibratile, préassemblés en usine. Les coupons de rail, reliés par des entretoises, sont ensuite positionnés sur l'assise en béton avant d'être scellés dans le béton.

Ce procédé, breveté par une société belge, est actuellement testé sur un prolongement de 370 mètres du tramway lillois. Le recours à des éléments préfabriqués permet de diminuer le temps de pose, surtout pour la substitution de voie. " Notre objectif est de réduire de 50 % temps de renouvellement d'une voie ", explique Jean-Claude Guédé.

Un pas vers la pose en continu des voies de tramway. Mais la palme de l'audace revient à Cegelec. La division d'Alstom amis au point un système de pose automatique des selles de rails. Une couche de béton est préalablement moulée en continu. Une machine, circulant sur des rails de chantier, insère par vibration dans le béton encore frais les selles munies de leurs ancrages. Ce procédé, baptisé Appitrack et développé avec Franex, société spécialisée dans les machines spéciales de travaux publics, est bien plus rapide, puisqu'il s'affranchit des gabarits. " on peut ainsi réaliser 80 mètres de voie double par jour, soit quatre fois plus qu'avec un procédé classique ", souligne Jean Ehrsam, ingénieur de la division Comsip de Cegelec. En comptant le gain de 5 à 6 centimètres sur la hauteur de plate-forme, Cegelec annonce au final une économie de 14 % par rapport à une pose traditionnelle. Une voie de démonstration a été réalisée fin 1997. Pour grignoter encore du temps de pose, Cegelec songe déjà à substituer les rails de chantier par un guidage optique. " Mais les systèmes optiques n'atteignent pas encore la précision du millimètre pour un engin mobile", explique Jean Ehrsam.

Le procédé de Cegelec préfigure certainement un avenir de la pose de voie entièrement automatisé.

" Nous sommes encore dans une phase d'expérimentation, tempère Jean-Claude Guédé. Il est difficile de savoir quelle technique émergera. " .

Corinne Ménard L'Usine Nouvelle H.S. Nov.98