Le boom du tramway en France a fait éclore de nouvelles
solutions techniques. Après le tramway sur pneus, le tramway
sans fil est à l'étude. Ansaldo, Spie Enertrans
et Alstom présentent déjà des solutions.
Et Bordeaux pourrait l'inaugurer en 2002.
Où s'arrêtera donc la mode du « sans-fil»
? Après le téléphone sans fil, l'alarme sans
fil et le rasoir électrique sans fil, la vague atteint
la nouvelle coqueluche de l'urbanisme français : le tramway.
Car le grand retour du tramway dans les
villes a entraîné aussi la réapparition
des caténaires et de leurs disgracieux poteaux. De quoi
faire grincer les dents des défenseurs du patrimoine architectural,
alors que la tendance est à enfouir les lignes électriques.
L'idée d'éliminer purement
et simplement les fils du tramway n'est pas nouvelle. Mais
sa réalisation technique est enfin possible. Et Bordeaux
pourrait être la première ville à en bénéficier,
dès 2002. Le contrat de tramway que vient de remporter
un consortium mené par Alstom prévoit une option
pour des tronçons de ligne sans fil, sur une technologie
développée par Spie Enertrans.
Pour s'imposer sur un marché du tramway en croissance,
plusieurs constructeurs travaillent en effet à l'alimentation
du véhicule en 700 volts par le sol. Cela grâce à
un « troisième rail », comme pour le métro.
A une différence de taille près : ce rail d'alimentation
doit être parfaitement sécurisé pour que les
piétons puissent traverser les rues sans risquer l'électrocution
!
L'italien Ansaldo, premier sur les rangs,
a développé dès 1994 une solution qui fait
appel à un principe magnétique. L'alimentation
du tramway est réalisée par une bande plate conductrice
reposant au fond d'un conduit étanche. La motrice du tramway
est équipée d'un aimant puissant qui attire la bande.
Le câble n'affleure donc que lorsque le tramway est au-dessus
de lui. Une fois le véhicule passé, il retombe au
fond du conduit, et le piéton peut marcher sur le rail
sans problème.
Trois constructeurs en compétition...
Ce système, actuellement
testé à Trieste, en Italie, manque toutefois de
de fiabilité. Il refuse souvent de fonctionner devant les
experts visiteurs ! Et sa sécurité reste à
démontrer : « Il suffit d'un gros aimant pour mettre
une partie de rail sous tension. N'importe quel aimant pourra
donc agir, et non pas uniquement le tramway », déplore
un spécialiste. D'autre part, le principe mécanique
assurant que le câble retombe sous son propre poids après
le passage du train pourrait connaître des ratés...
Aussi, les deux autres groupes en lice, Spie Enertrans et Alstom,
ont-ils opté pour un système plus sophistiqué.
L'idée est de découper le rail d'alimentation en
segments.
Et de n'alimenter que le segment sur lequel se trouve le tramway.
Chaque segment est relié à son propre circuit d'alimentation
électrique, muni d'une carte de commande électronique.
Pour Zoubir Khatir, chargé de recherche à l'Inrets
(Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité)
: « C'est une très belle innovation, dans un domaine
où l'on en voit rarement ».
Celui de Spie Enertrans est le plus
avancé. Le groupe, qui a investi 15 millions de francs
depuis 1998, a déjà démontré la faisabilité
de son projet à un coût acceptable. Il a même
fondé l'an dernier une filiale spécialement dédiée.
Innorail, établie à Vitrolles (Bouches-du-Rhône),
mène depuis plusieurs mois des expériences sur le
réseau de transport de Marseille. Olivier Perraud, son
directeur général, prépare maintenant une
mise en service commerciale à titre expérimental
en septembre. Le réseau phocéen accueillera une
version industrielle sur 500 mètres.
... aux solutions techniques différentes
Le
système d'Alstom, baptisé Aliss - pour Alimentation
statique par le sol -, n'en est, pour sa part, qu'au premier stade
de développement.
Le groupe prévoit toutefois une expérimentation
« grandeur nature » sur son site d'Aytré, en
Charente-Maritime, en janvier, portant l'investissement à
15 millions de francs.
Surtout, les deux rivaux ont opté pour des solutions techniques
quelque peu différentes. Le rail de
Spie Enertrans est découpé en segments de 8 mètres
séparés par 3 mètres d'isolant. Un découpage
qui nécessite deux patins collecteurs espacés d'un
peu plus de 3 mètres sous le tramway, de telle manière
qu'au moins l'un des deux soit en contact avec un segment sous
tension. Sur le rail d'Alstom, l'espace isolant entre les sections
ne mesure que quelques centimètres. Un unique patin suffit,
puisqu'il peut chevaucher deux sections. Le retour de courant
s'effectue par les roues dans les deux cas.
Le système de détection du tramway, qui enclenche
la mise sous tension du segment de rail, diffère également
entre les deux projets.
Innorail a opté pour une boucle d'induction qui signale
la présence du véhicule. Tandis que Alstom a choisi
le courant porteur.
L'information passe ainsi par contact entre le patin et la section.
Une garantie, selon Daniel Cornic, chef du projet Aliss : «
La transmission est plus précise, puisque l'information
n'est pas diffusée sous forme d'ondes. Cela autorise en
outre le découpage en segments plus petits. » Le
système pourra ainsi être adapté à
d'autres types de véhicules, plus petits, par exemple des
voitures de service.
La percée de ces deux procédés dépendra
de leur taux de disponibilité. Alstom s'est fixé
des objectifs très contraignants. « Nous avons exigé
une efficacité au moins égale au captage par fil
aérien classique », explique Daniel Cornic. Pour
cela, chaque segment de rail est équipé d'un transistor
IGBT (insulated gate bipolar transistor), qui commande la mise
sous tension. « Ce composant permet de gérer individuellement
chaque segment. En cas de problème, seule une section est
mise hors tension, ce qui n'immobilise pas complètement
le tramway, qui atteint la suivante par inertie. » Innorail
a, en revanche, doté les segments de commutateurs électromécaniques
classiques. Le transistor IGBT, qui pilote la mise sous tension,
est placé à bord du véhicule. L'information
de mise sous
tension doit donc circuler du système de détection
à l'IGBT, puis de l'IGBT au commutateur. Un cheminement
plus complexe, qui augmente le risque d'erreur et le temps de
réponse. De plus, en cas de défaillance, tous les
segments compris entre deux sous-stations électriques,
espacées de 2 kilomètres, sont coupés.
Des questions de faisabilités économique et technique
En revanche, cette solution est
plus économique, puisque, ingénieusement, elle ne
nécessite qu'un seul IGBT, composant coûteux, par
véhicule. « Nous nous sommes posé avec beaucoup
d'exigence la question du coût de ce système.
Nous voudrions pouvoir équiper des lignes de tramway entièrement
avec du captage au sol ; c'est pourquoi le surcoût ne doit
pas être excessif », justifie Olivier Perraud.
Car le surcoût est évidemment déterminant,
pour le succès du tramway sans fil. Pour Innorail, il restera
marginal par rapport au coût global de construction d'une
ligne de tramway. La pose de la caténaire ne représente
habituellement que 1 à 2 % de la facture totale.
Alstom, encore au stade du développement, refuse de s'engager
sur un prix. Mais son système, plus sophistiqué,
devrait être plus coûteux que celui de Spie Enertrans
à la construction. « Il faut raisonner sur la période
d'exploitation, se défend Daniel Cornic.
Nos coûts de maintenance seront probablement très
faibles. Notre système a été testé
sur deux millions de cycles avec succès. » Quant
au système d'Ansaldo, il sera sans doute moins cher, mais
techniquement moins crédible.
Les trois systèmes ont en tout cas en commun un ennemi
imparable :
l'eau. « Nous nous sommes attachés à respecter
des normes sévères en termes d'étanchéité,
pour être sûrs que les boîtes de commutations
ne soient pas altérées en cas d'infiltration »,
explique Daniel Cornic. Néanmoins, le tramway ne pourra
pas fonctionner en cas de submersion de la chaussée. Chez
Ansaldo, on contre les infiltrations en injectant de l'azote gazeux
dans le boîtier.
Mais, dans tous les cas, en présence de grosse flaque,
et particulièrement si l'eau contient du sel, un court-circuit
peut se former entre les segments. Les constructeurs reconnaissent
que c'est la limite d'exploitation du système, qui impose
un excellent drainage de l'infrastructure.
Malgré cela, le captage par le sol fera certainement des
adeptes parmi les villes soucieuses de leur environnement. «
Pour l'instant, tempère Ronan Golias, ingénieur-urbaniste
au Gart (Groupement des autorités responsables de transport),il
nous manque un certain recul sur des questions de faisabiIités
économique et technique, pour être sûrs que
c'est une solution d'avenir.» Mais Olivier
Perraud est intarissable sur ses avantages : « Le côté
esthétique est le plus évident, mais on gagne aussi
sur d'autres tableaux ! » Le temps de construction sera
en effet raccourci, les travaux d'alimentation étant réalisés
en même temps que la pose des rails. Les longues négociations
avec les copropriétés pour les ancrages de fils
en façade sont éliminées.
Et, en l'absence de poteaux, la largeur de la plate-forme peut
être réduite de 10 %. Enfin, l'absence de caténaires
permet le passage de convois exceptionnels, impossibles sous les
fils aériens traditionnels. Outre Cannes, Toulon ou Valenciennes,
l'une des cibles privilégiées des constructeurs
sera très certainement Nice.
Les chars de son carnaval ne pourraient pas passer sous les lignes
aériennes ! .
Cécile BONNEAU L'Usine
Nouvelle du 27-04-00
Un article paru en 1999 sur l'expérimentation
réalisée à Marseille.
Une grande première, le tramway sans caténaire ?
Pas vraiment... Les tout premiers
tramways n'en étaient pas pourvus.
Pour cause :ils étaient tirés par des chevaux !
L'alimentation électrique arrive en 1890, et le captage
au sol est mis au point dés le début du siècle
dans le centre de Paris.
Deux systèmes sont développés. L'un consiste
à enterrer profondément le câble d'alimentation
dans une étroite gouttière et à collecter
le courant par une petite perche disposée sous le tramway.
Les pannes sont fréquentes,à cause des infiltrations
d'eau et des déchets en tout genre.
Mais le système est utilisé jusqu'en 1937 dans plusieurs
quartiers de Paris.
L'autre système, alimenté par des plots répartis
le long de la voie et équipés d'un dispositif magnétique
de sécurité, est installé dans l'Est parisien.
Les problèmes qu'il rencontre sont rédhibitoires
: si la technique fait le bonheur des riverains attachés
à l'harmonie de leurs boulevards, elle fait en revanche
le malheur des chevaux..., qui s'électrocutent parfois
sur les plots d'alimentation.
On raconte même que quelques charretiers peu scrupuleux
conduisaient volontairement leurs vieux chevaux près des
voies pour toucher la prime d'assurance, solution plus avantageuse
que l'abattoir...
- 13 nouveaux tramways en Europe
de l'Ouest ont été mis en circulation depuis 1980.
De nombreux appels d'offres sont prévus entre 1999 et 2003
avec :
- 140 projets dans le monde
- 48 projets en Europe de l'Ouest. Environ 2 projets par an en
France